La cressonnière de la Tibourdière

La cressonnière de la Tibourdière à Cheverny
Cette ancienne cressonnière, classée petit patrimoine remarquable, est située à Cheverny, au sud-ouest du domaine du Portail, à proximité du chemin qui relie l’impasse de la Tibourdière au chemin de Poëly, à peu près à mi-chemin entre le domaine de la Tibourdière et la ferme de Poëly.
L’ouvrage est situé sur une petite parcelle de 290 m2, qui faisait auparavant partie du domaine de la Tibourdière et que la commune a acquise fin 2018.

La cressonnière de la Tibourdière à Cheverny
Un petit ouvrage digne d’intérêt
C’est un bassin de 2 m de large, 6 m de long et 60 cm de profondeur, construit en pierres de taille. L’eau y circule en permanence sur une hauteur de 20 cm, ou plus si l’on obture la sortie de l’eau avec une vanne qu’on peut glisser dans des rainures prévues à cet effet.
La restauration de ce petit ouvrage a fait l’objet d’un « chantier partage », dans le cadre d’un partenariat entre la mairie de Cheverny et l’association Maisons paysannes de France, le samedi 6 juillet dernier : débroussaillage et dégagement de l’ouvrage et de ses abords, création d’un accès piétonnier et d’un sentier longeant la cressonnière, le tout réalisé par quelques bénévoles.

La Tibourdière : nom d’origine incertaine…
Le lieudit est indiqué « La Thybandière » sur la carte de Cassini (1756-1815) mais Denis Jeanson (2), dans son dictionnaire de la toponymie en région Centre, nous indique qu’il s’agit d’une erreur de gravure, et référence le lieudit sous le nom de « La Thibaudière ». En fait, le lieudit est indiqué sous le nom de Thibordière sur plusieurs documents de recensement du début du XVIIIe siècle, de Thibourdière sur des documents cadastraux et sur des actes notariés, et de Tibourdière sur les plans du cadastre de 1813 et 1849, ainsi que sur les cartes actuelles. On trouve différentes origines étymologiques à ces noms, mais peu précises, et nous choisirons de n’en retenir aucune afin de ne pas nous tromper…
La cressonnière de la Tibourdière à Cheverny

La cressonnière de la Tibourdière à Cheverny
On devine presque la cressonnière sur les plans cadastraux, mais datation difficile…
Nos recherches dans les documents d’archives ne nous ont pas permis de trouver la trace formelle de l’existence de cette cressonnière dans le passé, ni de dater sa construction.
La toute petite parcelle sur laquelle se situe cet ouvrage est référencée sous le n° 321 sur le cadastre de 1813 pour une surface de deux ares et 20 centiares puis sous le n° 122 sur celui de 1849 et semble avoir toujours fait partie du domaine de la Tibourdière. Cette très petite surface peut laisser penser que cette parcelle était associée à la cressonnière ou inversement.
Le plan de 1849 indique également à cet endroit une fontaine (en fait, une source), sans la nommer. Un petit canal est représenté, joignant l’emplacement de la cressonnière au ruisseau venant des Ruaux (et plus loin de Chitenay) au point bas du chemin qui mène à Poëly. Ce ruisseau se jette ensuite un peu plus loin dans le Courpin, qui passe près du lavoir. Sans pouvoir l’affirmer, on peut supposer que ce canal est en rapport avec la fontaine et la cressonnière, qui pourrait donc dater du début du XIXe siècle ou peut-être d’avant. Dans le même secteur, figurent sur les plans de petits étangs dont on trouve encore la trace aujourd’hui.

La cressonnière de la Tibourdière à Cheverny
…mais un peu de concret tout de même
Un peu dans le flou, nous avons enquêté sur le terrain pour trouver des indices… Et c’est Thierry Dufraisse, agriculteur à la ferme de Poëly, qui nous a renseignés… La source a un débit régulier et ne s’est jamais tarie. Dans les années 70, Thierry a régulièrement bu l’eau de la source qui était très bonne, toujours à une température de 10 ou 12 degrés et il a eu l’occasion de goûter le cresson que l’exploitant de la cressonnière apportait de temps en temps à la ferme. Il se souvient qu’il y avait deux sortes de cresson, celui à feuilles rondes, très apprécié, et celui à feuilles pointues, qu’on appelait « le faux cresson », moins goûteux… Vu la dimension de la cressonnière, il s’agissait sans doute d’une culture destinée à la consommation de la famille et des amis…
Nous avons également appris qu’il existait une autre cressonnière dans ce secteur de la commune, mais dont l’emplacement exact restera secret…

La cressonnière de la Tibourdière à Cheverny
Le cresson, plante aquatique, toute une histoire (3)
On retrouve la trace du cresson dans des temps très anciens, puisque les Romains en mangeaient de grandes quantités, notamment parce qu’ils croyaient qu’il pouvait prévenir la calvitie et stimuler l’activité de l’esprit. Quant aux Grecs, ils affirmaient que le cresson pouvait « redonner raison aux esprits dérangés » et atténuer les effets de l’ivresse, d’où son emploi général dans les banquets. Au Moyen âge, il était employé comme dépuratif et dans les affections pulmonaires.

La cressonnière de la Tibourdière à Cheverny
Cresson de fontaine ?
Sans pouvoir le garantir, on peut supposer que la plante cultivée à la Tibourdière était le « Cresson de fontaine ». Le Larousse agricole - Édition 1921 (4) nous donne quelques précisions à son sujet… « Plante vivace, indigène, croissant dans les ruisseaux ; les tiges couchées présentent des racines blanches sur toute leur longueur ; les feuilles sont alternes, composées, imparipennées …/… ; les fruits sont de petites siliques contenant des graines rougeâtres, d’une extrême petitesse. L’eau de source, aussi pure que possible, est celle que l’on doit rechercher ; elle seule fournit un cresson de bonne qualité ; de plus, grâce à sa température constante, elle ne gèle pas en hiver et permet la production hivernale du cresson qui est la plus avantageuse. Les fosses ou cressonnières ont généralement 2,50 m à 3 mètres de largeur et 0,50 m à 0,60 m de profondeur ». Ce qui correspond aux dimensions de la cressonnière de La Tibourdière, tout comme la hauteur d’eau de 20 à 25 cm qui est préconisée pour cette culture.

Dans l’ouvrage « Flore du Loir-et-Cher » publié en 1885 par Adrien Franchet (5), une autre variété de cresson est évoquée : « On cultive assez fréquemment le Lepidium sativum, sous le nom de Cresson alénois ; il se trouve quelquefois subspontané dans le voisinage des habitations, ou même dans les champs – les Montils, champs de l’Hermitage ».

Origine de propriété (6)
Au XIXe siècle, la Closerie de la Thibordière (écrit ainsi dans des actes notariés) appartenait à Nicolas Barthélémy Selleron, qui l’avait hérité de son père en 1801 et la revendra en 1845 à François Martinet.
Plusieurs propriétaires se sont ensuite succédés jusqu’à la période actuelle. Parmi eux, nous évoquerons Pierre Mauger qui deviendra propriétaire en 1921, et son fils Robert qui en héritera en 1951. Pierre Mauger-Violleau est un homme politique français né en 1867 à Bracieux et décédé en 1924 à Cheverny. Horloger à Contres, il est conseiller municipal en 1912 et maire de Contres en 1919. Il est également conseiller d’arrondissement et député de Loir-et-Cher de mai à novembre 1924, inscrit au groupe Républicain-socialiste. Son fils, Robert Georges Maugé (1891-1958) lui succédera comme horloger bijoutier à Contres. Il fut maire de Contres de 1925 à 1941 et en 1944-1945, conseiller général durant trois mandats, député du Loir-et-Cher de 1932 à 1942 et de 1945 à1946 et président du comité départemental de Libération (7).

Etienne Durth, représentant à Cour-Cheverny de l’association Maisons Paysannes de France (1), nous précise le rôle de l’association dans ce projet.
E. D. : « Avec notre association Maisons Paysannes de Loir-et-Cher (association locale représentant Maisons Paysannes de France), nous cherchions à nous faire connaître auprès des élus locaux afin de leur faire partager notre expertise concernant la valorisation et la restauration du bâti ancien. Nous avons donc rencontré Mme Gallard, maire de Cheverny, qui a apprécié l’objet et les missions de notre association. D’un commun accord nous avons défini un cadre et une feuille de route afin de faire profiter les habitants de Cheverny et des alentours de la richesse de notre patrimoine ».

La Grenouille : En quoi consiste ce projet ?
E. D. : « Le projet de valorisation de la Cressonnière consiste à rendre ce lieu accessible tout en respectant l’écosystème qui s’est créé autour de lui. Nous avons donc dégagé l’ouvrage des broussailles, nettoyé les pierres, réalisé un chemin d’accès entrant et sortant en le délimitant par des haies mortes.
Il est également prévu de créer un chemin pédestre sensibilisant au bâti rural et au patrimoine vernaculaire passant par le bassin de pisciculture, le lavoir et la cressonnière Nous proposerons également un chantier initiation «limousinerie», maçonnerie ancienne en chaux/sable sur un mur d’enceinte en pierres au second trimestre 2025 ».

La Grenouille : Quel est le rôle de Maisons Paysannes de France dans ce type projet ?
E. D. : « L’aménagement paysager est une des missions, certes moins connue, de l’association Maisons paysannes de Loir-et-Cher qui organise déjà des chantiers de partage ; nous avons donc apporté notre expérience dans le déroulé d’une journée de travail collectif, avec le prêt du matériel et en veillant à la sécurité des participants. J’adresse un grand merci aux bénévoles qui ont donné de leur temps pour participer à la journée de chantier participatif de la cressonnière de Cheverny ».
Si vous avez des questions à poser, envie de participer à des actions ou vous former à des techniques de construction en lien avec la restauration du bâti ancien, n’hésitez pas à prendre contact avec les délégués locaux : Christine Delas Thiaville (Tél. 06 64 72 67 18) ou Etienne Durth (Tél. 06 89 39 04 29).

 P. L.

(1) Voir aussi La Grenouille n°62 – page 12 : « Restaurer sereinement » et sur notre blog - Rubrique « Nos associations » : Maisons paysannes du Loir-et-Cher.
(2) www.denisjeanson.fr
(3) Source : www.cressonniere-sainte-anne.fr/
(4) www.biblio.rsp.free.fr/LA
(5) Voir le livre «Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et- Cher et nos petites histoires». Éditions Oxygène Cheverny - 2018 - page 55 : « Le florilège de Jean Mosnier au château de Cheverny ».
(6) Source : Archives départementales du Loir-et-Cher.
(7) Source : Le Maitron - www.maitron.fr

La Grenouille n°65 – Octobre 2024

Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire

Né sur le territoire communal de Cheverny
Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire
Je m’appelle chêne sessile (quercus sessiliflora ou pétraea pour les puristes).« Sessile », parce que mes glands sont directement insérés sur mes rameaux et « non pédonculés » comme mon cousin chêne pédonculé (quercus pédunculata ou robur) qui lui, présente ses glands au bout d’une tige (pédoncule). Avec la cupule de son gland, il forme comme une mini pipe.
Je suis moins gourmand en eau que mon cousin chêne pédonculé qui est pratiquement condamné à disparaître au sud de la Loire du fait du dérèglement climatique. J’ai pris racine sur l’emprise du chemin rural n° 68, dit chemin de Soings à Cheverny. Cette ancienne voie relativement large (près de 10 m) fut sans doute autrefois un axe de grande fréquentation. Situé au coeur de la forêt de Cheverny, ce chemin rural croise quelques centaines de mètres plus au sud le Chemin des Boeufs, au carrefour de Vibraye. Cette autre voie importante traverse ce massif de part en part et fait partie de la « Route européenne d’Artagnan » (1). Du fait de cette grande largeur du chemin rural, j’ai eu de l’espace et mon houppier s’est développé sans aucune gêne, il présente aujourd’hui un volume important. Mon tronc aussi s’est bien développé, malheureusement pour sa valeur économique, mieux en diamètre qu’en hauteur…
Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire

Comment suis-je arrivé sur ce chemin ?
D’un gland tombé là par hasard, ou abandonné par un écureuil distrait, ou encore échappé du bec d’un geai criard ou d’un pigeon pressé, nul ne le sait. Je peux aussi être né de la volonté d’un forestier dans le cadre de la gestion de cette forêt et issu d’un chêne voisin. Quoi qu’il en soit, j’ai réussi à me développer sur ce chemin en échappant à la dent du chevreuil, du cerf et même à la faux et au croissant des cantonniers de l’époque. Il faut cependant préciser que lors de ma prime jeunesse, le trafic était sans doute essentiellement représenté par des chariots tirés par des boeufs ou des chevaux, mais aussi par des cavaliers et des piétons de tous ordres. Et, au vu de la largeur du chemin à cet endroit, seul son centre était utilisé, laissant les bords se reboiser, dès que les entretiens ont été délaissés. D’ailleurs, quelques autres arbres de moindre importance ont également pu se développer sur ce chemin. En grandissant, ma taille aidant, la crainte de me faire écraser ou blesser s’est estompée. Le trafic devenant très limité, car d’autres voies plus carrossables étant créées dans ce massif, je pus alors me développer avec plus de sérénité, même si quelques engins motorisés empruntent aujourd’hui parfois cet axe à l’accès ardu.

Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire
Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire
Un mètre quinze de diamètre, plus de deux siècles.
En l’absence de concurrence directe, je n’ai pas bénéficié d’un élagage naturel, et de ce fait, mon houppier s’est développé sans contrainte (23 m de diamètre pour une hauteur totale équivalente). Il présente aujourd’hui, en 2024, un important volume, ce qui me procure un grand pouvoir de photosynthèse, donc une croissance soutenue. (Un carottage sur 55 mm donne un nombre de 24 années, soit une moyenne d’accroissement de 2,3 mm/ an). Extrapolé sur le rayon, cela me donnerait un âge approchant les 250 ans, qu’il convient de moduler à plus ou moins 10 %, car ma croissance a pu être plus importante quand j’étais plus jeune. Cependant, mon tronc, s’il dépasse les 3,60 m de circonférence, ne présente pas une grande longueur, les premières branches basses le limitent à quelque 5 m. Ce qui me confère une plus grande valeur esthétique qu’économique. Au vu de mon grand âge, j’aurai quand même connu la Révolution, Napoléon, les derniers rois de France, et les trois dernières guerres en ayant entendu parler de Bismarck en 1870, du Kronprinz en 1914/18 et de Hitler en 1939/45. J’ai même entendu hurler les derniers loups tués en Sologne à la fin du XIXe siècle, notamment en forêt de Russy, de Boulogne et de Cheverny. Outre le fait d’avoir fabriqué des milliers de mètres cubes d’oxygène, d’avoir stocké dans mes branches et dans mon tronc des tonnes de carbone, j’ai eu aussi mille et une autres fonctions.
Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire

Point de repère géographique et hôtel restaurant
Mon énorme houppier (la plus longue branche a une portée de 15 m) a servi de gîte et de couvert à une foultitude d’êtres vivants : pigeon, geai, corbeau, loir, mulot, écureuil se sont nourris de mes fruits, sans oublier cerf et sanglier. Combien d’oiseaux et de petits mammifères sont venus y cacher leurs amours printanières et y construire leur nid, combien d’insectes y sont nés, se sont nourris de mes feuilles et ont servi de repas à ces volatiles discrets ? Certains de ceux-ci, reconnaissants, continuent d’agrémenter mon feuillage de leur chant estival : loriot, coucou, pinson, mésange et quelques autres moins mélodieux comme geai et corbeau. Point de repère aussi, car un tronc de cette taille, situé sur le bord d’un chemin rural ne passe pas inaperçu (mon houppier est même visible sur Google Earth à 300 m d’altitude, point GPS : 47° 28’ 36’’ N - 1° 28’ 51’’ E). J’en ai vu passer des générations de gardes, de chasseurs, de braconniers et de veneurs ! J’ai aussi vu passer des rouliers et leurs charrois, des colporteurs, des bûcherons, des randonneurs, des ramasseurs de champignons et même des bandits de grands chemins. J’en ai même vu qui se sont soulagés sur mes racines…et d’autres qui se sont mis à l’abri sous mon feuillage lors d’une averse soudaine. J’ai pu aussi servir de poste d’observation et de tir pour un chasseur lors d’une battue au grand gibier.

Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire
Pourquoi, à mon âge suis-je encore debout ?
Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire
N’ayant pas trop souffert des déficits hydriques de ces dernières décennies, je suis encore apparemment en bonne santé. Je le dois sans doute à l’absence de concurrence directe de mes concitoyens et à la proximité du fossé où mes racines vont puiser une humidité plus présente. J’ai aussi échappé au marteau des forestiers qui se sont succédés dans la gestion de ce massif, ainsi qu’à la tronçonneuse d’un bûcheron. Mais, le doute a dû traverser l’esprit de ces derniers quant à ma situation sur le bord de ce chemin rural, et dans le doute, on s’est abstenu. J’ai aussi échappé aux tempêtes, de plus en plus violentes, ainsi qu’aux coups de foudre qui peuvent déchiqueter un tronc. J’aurais pu finir en poutres, en chevrons ou en parquet, mais le graal pour un chêne de qualité est de se voir transformer en douelles. Je m’imaginais bien voir ma bille de pied transformée en tonneaux, et y laisser se bonifier, tant qu’à faire, un grand cru de Bourgogne ou du Bordelais. Cependant, je me verrais aussi bien vieillir encore quelques dizaines de décennies et être protégé comme chêne exceptionnel. Mon grand âge et l’aspect esthétique que les connaisseurs pourraient me reconnaître, me laissent espérer pouvoir représenter la commune de Cheverny comme
un élément remarquable du patrimoine vivant de cette commune.

Michel Bourgeois

Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire

La Grenouille n°63 - Avril 2024

La nature au bord du Conon

Si le Conon parlait, il nous dirait sans doute : « Pour vivre heureux, vivons cachés… ».

Nivéoles, nénuphars et renouée…
La nature au bord du Conon
Au printemps, on peut voir des touffes de perce-neige géants qui ne sont autres que des nivéoles avec leurs tiges florales d’au moins 25 cm et une petite tache verte sur le bord de chaque pétale. On les trouve dans des zones humides et sauvages. Elles sont souvent protégées car de plus en plus rares.
Le nénuphar jaune (fleur de 5 cm de diamètre) envahit certains coins de notre rivière ; il est favorable à l’élevage des alevins et à de nombreux petits animaux aquatiques. Aucun prédateur ne le consommant, les touffes sont de plus en plus grandes. La fleur a un parfum alcoolisé qui attire les mouches et donc les libellules qui les consomment.
On ne peut se promener sans voir la renouée du Japon qui se penche sur notre cours d’eau. Ce ne sont pas ses graines mais ses rhizomes qui nous envahissent. Ses grandes tiges cannelées nous font penser à des petites forêts de bambous.

La nature au bord du Conon
Le Conon, idéal pour se cacher
On pourrait l’appeler le Conon sauvage, entre les orties d’1,50 m à 2 m, favorables aux chenilles qui deviennent des papillons, dont « la petite tortue », « le paon du jour »... Les ronces inextricables forment des fourrés de plus de 2 m de hauteur, utiles pour les jeunes arbres qui ainsi ne se font pas manger par les cervidés et les nichées de petits oiseaux comme les troglodytes, les merles, les fauvettes et beaucoup d’autres.

Des arbres de tous âges
La nature au bord du Conon
Les saules marsaults se penchent au-dessus de l’eau. Ils ont une croissance rapide (6 à 8 m) et une courte longévité, d’environ 50 ans. On les reconnaît au printemps : les chatons mâles sont garnis d’étamines jaunes, l’inflorescence est odorante et nectarifère. C’est un petit arbre qui rejette facilement de la souche. Comme tous les saules, son écorce contient de la salicyline, voisine de l’aspirine.
La nature au bord du Conon
L’aulne glutineux a plus de hauteur que le marsault, et peut atteindre 10 à 15 m. Son bois est imputrescible et léger. On le qualifie de glutineux car ses jeunes feuilles sont gluantes. Cet arbre a la particularité de fixer l’azote de l’air en le restituant dans le sol par ses nodosités ; il enrichit ainsi les sols pauvres. Il est aussi indispensable aux « petits mars changeants », papillons d’une teinte bleu-violet. C’est sa chenille qui se nourrit de ses feuilles. Le Conon est bordé de grands frênes qui, comme l’aulne, n’ont pas peur de mélanger leurs racines pour maintenir les rives de la rivière. Du haut de leurs 35 m, ils dominent le cours d’eau avec les chênes et les peupliers.
La nature au bord du Conon
Le frêne peut vivre jusqu’à 250 ans ; on le reconnaît à ses bourgeons noirs et à ses grappes de samares (1) simples. Son bois est dur et souple, les meilleurs manches d’outils nous le prouvent… Ses feuilles ont beaucoup de vertus médicinales, entre autres pour soigner les douleurs articulaires.
Grâce à toutes ces racines nos rongeurs se créent des galeries bien étayées, les oiseaux cachent leurs nids dans les brindilles, les insectes se font becqueter et grignoter par les rongeurs, permettant à la nature de vivre.

L. R.

(1) On appelle samare toute graine ou fruit avec une surface portante en forme d’aile et qui permet ainsi le transport à distance par le vent (Source : Zoom Nature).

La Grenouille n°60 - Juillet 2023

L'aventure au bout du Conon(1)

Riverain du Conon à Cour-Cheverny, Olivier Delabrouille nous emmène à la découverte d’une facette méconnue de notre paysage…
Nous rêvons tous d’aventures et d’épopées mémorables, de dépaysement et de nature sauvage… Pour cela on imagine facilement devoir partir dans de lointaines contrées. En voilà une idée tout faite ! Je vous invite à une évasion, en images et quelques mots, qui ne s’éloignera jamais bien loin de notre clocher, disons environ deux kilomètres maximum ! Une véritable expédition !

Embarquement immédiat…
En cette fin d’après-midi de printemps, la lumière est belle et la température clémente ; le kayak est posé au bord de l’eau, me voici paré avec mon gilet de sauvetage, ma pagaie et une scie. Le Conon, je le connais de ce que j’en aperçois du jardin et des routes qui l’enjambent, mais que nous réserve-t-il d’autre ?

L’aventure commence
Quelques coups de pagaie et le décor est bien différent des rives entretenues… : je passe à une végétation plus dense, plus chaotique, il faut slalomer entre les arbres tombés en travers du cours d’eau, les branches qui ploient jusqu’à la surface, les ronces qui se prennent pour des lianes… Je pensais pagayer deux minutes entre le pont de la voie de Chantreuil et celui de la route de Romorantin, mais il en aura fallu plutôt quinze… ; le parcours ne comporte pas de rapides tumultueux mais il est jonché d’obstacles, la scie sert souvent pour libérer un passage, c’est l’aventure !

Un spectacle vivant
La faune est bien présente : en plus des canards et des poules d’eau, on découvre une grande variété de libellules, un martin pêcheur survole l’eau à grande vitesse, à peine le temps de le voir, une carpe qui se réchauffait sous un rayon de soleil est surprise par l’approche silencieuse du kayak qui glisse tranquillement, plusieurs pics verts sont aperçus… Passé le pont de la route de Romorantin, les chevaux de Christian, intrigués par ma présence, sont curieux… Puis un virage à droite révèle une enfilade de petits abris ou pontons d’agréments faits de bric et de broc, jouxtant la rive avec charme ; la ligne droite m’emmènera au pied du pont de Beignon. Sous le pont, des grilles protègent l’accès au parc du château… À cet endroit même, une fois précédente, j’avais croisé un chevreuil qui était dans l’eau et avait fini par remonter sur la rive et partir dans les jardins…

Changement de direction

Demi-tour ! Allons voir si l’amont est aussi intéressant… La remontée prendra du temps, papotage avec des riverains, décollage de montgolfières vu de l’eau…. Je repasse mon point de départ et remonte, mais pour combien de temps ? Car la profondeur semble peu prometteuse, la pagaie touche facilement le fond, le niveau garanti par le barrage du château en aval semble atteindre sa limite, mais j’arrive à une retenue d’eau qui permet de remonter le niveau d’au moins 40 cm ; il faut descendre du kayak, lui faire passer ce barrage de branchages, une construction que l’on doit à nos castors, nombreux sur cette partie du cours d’eau, ou à l’humain… Les deux peut-être, mais toujours est-il que je vais pouvoir remonter plus loin, l’endroit est encore plus tranquille ; je longe quelques terrains d’agréments, passe sous trois passerelles différentes et vais devoir jouer de la scie quelques fois ; chaque mètre parcouru offre une nouvelle vue, et tranquillement je remonte… Le dernier coup de vent de début d’année a couché de nombreux arbres et me voilà bloqué par un enchevêtrement qui obstrue le cours d’eau sur une bonne quinzaine de mètres. ; ma scie n’est pas de taille, ou plutôt je ne me sens pas l’âme d’un bûcheron aquatique et cette fois j’ai l’impression d’avoir été bien loin déjà dans mon exploration…
Je regarde la bâtisse que je vois plus loin derrière les arbres, je suis au niveau de la Pigeonnière(2)…, à environ deux kilomètres de notre clocher ! Pourtant, tout ce que j’ai pu observer et la progression parfois difficile m’ont donné l’impression d’un parcours beaucoup plus long et qui s’avère bien dépaysant…

Partager son plaisir
Il est temps de faire demi-tour et de rentrer coucher quelques lignes avec le clavier pour partager un petit bout de cette aventure au bout du Conon, qui m’aura donné l’occasion de déranger quelques grenouilles posées sur leurs nénuphars et d’apporter également une contribution à « notre Grenouille »…

Olivier Delabrouille

(1) Plusieurs articles évoquant le Conon ont été publiés par « La Grenouille ». Voir notamment « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher… et nos petites histoires » - Éditions Oxygène Cheverny 2018 - page 232 : « Le Conon ».
(2) Le lieudit la Pigeonnière est situé sur le cours du Conon, à hauteur du château des Murblins.

La Grenouille n°60 - Juillet 2023

Les taxi batae de la mairie de Cheverny

Les taxi batae de la mairie de Cheverny
Le patrimoine du vivant
Nos deux communes de Cheverny et de Cour-Cheverny recèlent des trésors insoupçonnés, parfois très visibles mais qui n’attirent pas le regard à priori, et parfois cachés en pleine campagne, dans des cours privées ou dans les bois et parcs. Dans le cas présent, il s’agit d’arbres remarquables, par leur taille exceptionnelle, leur beauté naturelle et leur rareté.
Nous nous attarderons ici sur un arbre discret mais néanmoins remar­quable de par sa taille, sa rareté et son âge supposé très avancé. Il s’agit du taxus baccata (if commun), dont il existe trois spécimens exceptionnels dans la cour de la Mairie de Cheverny. Ces sujets qui ont poussé naturellement ou qui ont été plantés, présentent de belles dimensions. Le plus gros des trois, particulièrement bien mis en valeur mérite notre attention, et notamment, la recherche de son âge.

Quelques notions de botanique
Classé dans la catégorie des résineux, alors qu’il n’a pas de résine, l’if est essentiellement connu comme arbre à haie et arbre de cimetière (ce qui explique sa présence à proximité de l’église, ancien cimetière attesté). Il peut se tailler de mille façons : en haies basses, en haies hautes, en topiaires, et en de multiples formes artistiques.

D’où vient-il ?
Originaire du Moyen Orient, il a colo­nisé de grandes zones en Europe, notamment grâce à ses exception­nelles facultés d’adaptation. Adapta­tion aux divers sols qu’on lui propose, mais aussi à bien des expositions : du plein soleil à l’ombre quasi-per­manente... Si on le laisse pousser naturellement comme à Cheverny, il peut atteindre les 20 m de hauteur, pour peu qu’il ait de la place pour se développer. Par ailleurs, il est très longévif (1). Un spécimen est connu en Normandie qui aurait plus de 1000 ans, avec des dimen­sions frôlant les 20 m de hauteur pour un diamètre de 1,60 mètre (en cépée de plusieurs brins). On trouve également de très beaux sujets dans les parcs et jardins de nos châteaux de la Loire.
Les taxi batae de la mairie de Cheverny

Principales caractéristiques de l’if
L’if est une plante dioïque, c’est-à-dire qu’il existe des pieds mâles et des pieds femelles. C’est le pied femelle qui porte ce fruit rouge vif qu’on appelle « arille ». La chair du fruit est comestible, on peut même en faire des confitures. Mais les noyaux, comme les feuilles sont toxiques, et même mortels s’ils sont mâchés ou écrasés, particu­lièrement pour les chevaux. Les oiseaux, eux, consomment ces fruits et disséminent les noyaux intacts, qui peuvent ainsi germer à de grandes distances de leur pied mère. Mais, pour être fécondé, celui-ci doit se trouver à proximité d’un pied mâle. Le pollen est abondant et peut voler à plusieurs dizaines de mètres pour aller féconder les pieds femelles. Cet arbre est également recherché pour l’extraction d’une molécule appelée taxol, utilisée en médecine comme anticancéreux.

Qualité de son bois

Les taxi batae de la mairie de Cheverny
D’une belle teinte brun-orangé à rosâtre, il est très prisé des ébénistes, des luthiers (pour ses hautes qualités acoustiques) et des sculpteurs. Son bois dense, dur et facile à polir, en a fait un arbre très recherché dans les années 1990-2000 par les exploitants forestiers. Sa crois­sance relativement lente, sa rareté et la durabilité de son bois en ont fait une matière de première valeur. D’ailleurs, les prix qu’en offraient les utilisateurs à l’époque étaient de très loin supérieurs au prix du chêne. Aujourd’hui, les ifs qui présentent des dimensions respectables sont plutôt conservés comme témoins du passé, éléments décoratifs et natu­rels du patrimoine des communes et des particuliers qui en possèdent.

D’autres utilisations de son bois
Elles n’ont plus cours aujourd’hui, mais l’if a eu ses heures de gloire au moyen âge. En effet, il était déjà recherché à cette époque, moins pour le bois de son tronc que pour ses branches. En raison d’une grande résistance à la flexion et d’une bonne durabilité, celles-ci étaient utili­sées à la confection d’arcs de guerre par les archers du roi, notamment en Angleterre, où l’if aurait failli disparaître, tellement il était prisé. Il était aussi utilisé pour des applications bien plus macabres. En effet, ses feuilles, ses noyaux, son écorce et même ses racines, comme précisé plus avant, sont particulièrement toxiques et servaient à confectionner des mixtures létales à bas prix…, moyen de trucider très en vogue au moyen âge.

Les taxi batae de la mairie de Cheverny
Un peu de dendrométrie (2)
Il s’agit de la prise des dimensions d’un arbre sur pied : diamètre, hau­teur, volume, âge. Avec l’autorisation et l’aimable participation de ma­dame Gallard, Maire de Cheverny, nous avons cherché à connaître les caractéristiques du plus gros des ifs. Comme nous n’avions pas accès à la souche où il aurait été aisé d’y compter les cernes d’accroissements annuels, la méthode employée a été par comparaison. Afin de respec­ter le souhait du conseil municipal de ne pas altérer l’intégrité de cet arbre, son âge sera défini par comparaison et non par carottage (3). Des mesures ont été effectuées sur d’autres essences à croissance simi­laire et de diamètre comparable, qui ont été extrapolées sur le diamètre de cet arbre. Parfois, les accroissements sont si faibles qu’il faut l’utili­sation d’une loupe pour les compter. Par cette méthode, on approche avec suffisamment de précision l’âge actuel de l’arbre.

Les taxi batae de la mairie de Cheverny
Attachons-nous au plus gros des trois ifs (qui sont sans doute tous du même âge)
Son diamètre à 1,50 m du sol est de 66 cm, (210 cm de circonférence) contrôlé le 19 avril 2022. Sa hauteur totale est de 13,50 m, mesurée au dendromètre ‘’blume-leiss’’ (outil des forestiers pour apprécier les hauteurs d’arbre sur pied). La hauteur dite marchande de son tronc est d’environ 4 m (hauteur limitée par la présence trop nombreuse des branches). En appliquant une décroissance de 2 cm par mètre sur son diamètre, son volume marchand serait d’environ 1,275 m3.
L’âge de cet if a été recherché par comparaison avec des arbres à crois­sance lente constatée sur des chênes de haute futaie. Les accroissements sont souvent compris entre 24 et 26 mm sur les 40 mm de référence. En extrapolant la moyenne de 25 ans sur la longueur de référence et sur le rayon de 33 cm, par une règle de 3, l’âge approximatif de cet arbre serait de : 330 millimètres (rayon) divisé par 40 multiplié par 25 = 206 ans. Cet âge nous amènerait à une époque de plantation aux environs de 1816. Cependant, par sagesse il convient d’appli­quer une marge d’erreur de plus ou moins 10 ans. Il est probable qu’à cette date nous nous trouvions évidemment dans le cimetière de Cheverny, et que cet if a pu être contemporain de Napoléon 1er... La valeur marchande de cet arbre, même si très élevée, est sans commune mesure avec sa valeur ornementale, sa valeur culturelle et sa valeur patrimoniale. Ces valeurs, dites de convenances, ne sont pas estimables.
C’est la raison pour laquelle il convient de conserver et de protéger ce patri­moine du vivant au même titre que les patrimoines bâtis, industriels, cultu­rels ou celui des traditions et savoir-faire... Cet âge vénérable le vaut bien…
Les taxi batae de la mairie de Cheverny

Michel Bourgeois

(1) Longévif : qui vit longtemps (Wiktionnaire), terme employé fréquemment par les forestiers.
(2) Dendrométrie vient du grec ancien dendron : arbre. La dendrochronologie consiste à analyser les cernes annuels de croissance afin d’obtenir des informations sur le passé de l’arbre (âge, rythme de croissance, évènements climatiques, etc.).
(3) Cette méthode consiste à effectuer un carottage de l’arbre à l’aide d’un outil appelé la tarière de Pressler. La carotte prélevée, de 4 à 5 mm de diamètre, est ensuite analysée pour évaluer l’âge de l’arbre.

La Grenouille n°56 - Juillet 2022












Le Beuvron au fil de l'homme

Le Beuvron au fil de l'homme
Le Beuvron courchois il y a cent ans. Le pont ferroviaire enjambe
la retenue du moulin de Pezay que des massifs de phragmites
bordent irrégulièrement
Nos voisins de Cellettes ou de Bracieux vivent avec lui, le voient, le contournent ou le traversent au quotidien. Courchois et Chevernois ne font que le deviner depuis leur véhicule au pont de Clénord où il n’est qu’une limite naturelle avec la commune de Mont-près-Chambord. Alors les liens ne peuvent être les mêmes et il reste pour nous un élément caché, méconnu, parfois ignoré. Du fin fond des limites nord de son territoire, notre Grenouille va s’aventurer quelque peu hors de ses strictes limites communales, tant l’histoire d’une rivière ne peut être contée qu’à l’échelle de son linéaire. 

Le Beuvron au fil de l'homme
Le même pont, deveni piste cyclable, enjambe
aujourd'hui une rivière chenalisée, jardinée et boisée
Tout comme la Sauldre, le Beuvron draine la Sologne tout au long de ses 115 kilomètres. À elle le sud pour y rejoindre le Cher, à lui le nord vers le fleuve Loire. Et ces deux là sont assurément frère et soeur, fruits des mêmes terroirs, des mêmes sols, du même relief, du même climat. Peut-être même sont-ils jumeaux tant leur apparence était semblable voici encore si peu de temps. Elle, encore très « nature », déroule ses méandres et cache jalousement ses jardins secrets. Lui, rigide et sans fantaisie, paraît triste et souffreteux. Les articles accessibles sur internet nous apprennent qu’il souffre d’une « mauvaise qualité morphoécologique ». Manquait plus que ça ! 

Le Beuvron au fil de l'homme
Méandres, atterrissements, terrains inondables et
boisements humide. L'Ardoux déroule ses 
fonctionnalités à Saint-Laurent-Nouhan
Que s’est-il passé ?
Cet article se propose d’évoquer les transformations dont notre rivière a été l’objet, notamment dans les années 1970. Non pas dans un esprit polémique qui n’a plus sa place aujourd’hui, mais en tentant d’analyser objectivement les multiples facteurs qui furent alors déterminants. Le propos ne sera pas de critiquer ou de juger mais de comprendre. Les travaux dont nous parlons étaient la concrétisation d’une politique d’État menée par le seul ministère de l’agriculture en application d’une loi du 7 juin 1951. Beaucoup déjà est dit dans cette phrase. Le Beuvron que nous connaissons aujourd’hui est le fruit des difficultés économiques et sociales qui se posaient dans l’immédiat après-guerre, voici près de 80 ans. Tant de choses ont évolué depuis, qui ont modifié les décisions des hommes. Cet article évoque cette histoire. Il ne se veut pas emprunt de nostalgie ou de regrets, mais au contraire optimiste et porteur d’espoir, tant dans ces domaines les connaissances, les modes de pensée et les politiques publiques ont évolué.


Beuvron, donc, du celtique biber, qui désigne le castor. Les gaulois avaient manifestement remarqué que l’espèce, pourtant présente partout où se trouve de l’eau et des arbres, appréciait particulièrement ce bassin. Ne se contentant pas de l’occuper, mais aménageant et modelant profondément tout son chevelu au bénéfice d’une multitude d’espèces.
Et puis le suffixe onna, « la » rivière, comparable à toutes celles que connaissaient les gaulois, qui furent ensuite progressivement modifiées en fonction des besoins et des moyens et dont il reste heureusement quelques beaux exemples préservés. Nos scientifiques les qualifient de sauvages et de fonctionnelles car elles présentent des caractéristiques morphologiques, dynamiques et biologiques qui leur confèrent des fonctions dont nous profitons. Le lit mineur est la zone où l’eau s’écoule habituellement. Il évacue l’excès des précipitations et la notion de rivière a bien longtemps été réduite à ce seul lieu et à cette seule fonction évidente. La réalité est tout autre, et la rivière occupe une surface bien plus vaste où « diversité » est le mot d’ordre. 

Le Beuvron au fil de l'homme
Le Beuvron à Neuvy. La rectitude des travaux de 70.
L'îlot de sable est favorisé par un barrage à aiguilles
édifié lors des étiages
La rivière naturelle
Tout ce qui, sur des pas de temps qui se chiffrent en siècles, crée, modifie et entretient les différentes composantes d’une rivière libre est le fruit des interactions entre la force de l’eau et la masse des sédiments qu’elle tente d’entraîner vers l’aval. Lorsque le courant est trop faible, il doit contourner l’obstacle de ses propres alluvions, créant sur nos rivières de plaine des hauts-fonds puis des îlots. Ces irrégularités du lit de la rivière, comme toutes celles qui seront progressivement évoquées, sont mises à profit par des espèces de la microflore et de la microfaune qui y trouvent les exigences spécifiques qui sont les leurs. L’irrégularité des fonds dévie le cours de l’eau vers une des berges qui s’érode, amorçant ainsi la formation d’un méandre. Caractéristiques des rivières de nos régions, les méandres peuvent devenir marqués, nombreux et spectaculaires. C’était notamment le cas pour le Beuvron comme en atteste la cartographie ancienne mais aussi les photos aériennes qui, en étudiant la végétation, dévoilent des caractéristiques invisibles en surface. Au fil du temps, les méandres s’accentuent, la rive concave voit se déposer des éléments fins alors que la rive opposée s’érode ou retient des éléments plus grossiers. Les méandres ont un rôle majeur dans la fonctionnalité des rivières. Ils cassent la force du courant, retardent l’écoulement de l’eau et donc aplanissent les pics d’inondation en aval, favorisent le caractère humide, voire engorgé, des terrains riverains et ainsi les possibilités d’auto-épuration de la rivière.
Et puis un jour, les méandres se sont tellement accentués, ou la crue qui survient est suffisamment forte, et la rivière coupe ses méandres. Elle recrée un cheminement plus ou moins rectiligne, s’en va initier des sinuosités plus loin et laisse des segments de méandres comme abandonnés à eux-mêmes. Des bras morts comme nous disons, ou des boires sur la Loire, des noues sur le Cher et ailleurs… Leur devenir est de se combler très lentement. Plusieurs milliers d’années sont nécessaires sur certains fleuves. Leurs caractéristiques topographiques et évolutives en font des lieux de vie exceptionnels. Encore en eau dans un premier temps, puis progressivement déconnectés du cours de la rivière, ces lieux accueillent successivement toutes les cohortes d’êtres vivants qui constituent les rivières. Leur rôle fonctionnel est important au niveau de la qualité de l’eau et de la recharge des nappes phréatiques. Ils sont à l’origine de ces innombrables irrégularités topographiques que nous pouvons deviner au long du linéaire de la rivière qui tout à coup n’apparaît plus comme un banal trait d’eau mais comme une entité évolutive bien plus large. Une entité qui laisse un temps des espaces pour les reprendre plus tard, dans une temporalité qui nous échappe quelque peu. C’est l’ensemble de ces espaces qui forme l’écosystème « rivière ».
Le Beuvron au fil de l'homme
Le barrage de Pezay en mars 2021

Dans l’intimité de son lit, la rivière gère en permanence des interactions fructueuses entre l’eau, le minéral et l’organique
S’il peut s’élever en hauts-fonds affleurants, le lit plonge aussi dans de profondes et calmes fosses, colonisées par un ensemble d’invertébrés et de vertébrés qui apprécient pénombre et fraîcheur. Les radiers (1) à l’inverse présentent de faibles profondeurs avec des eaux qui s’accélèrent et glissent sur un fond de matériaux plus grossiers où le courant interdit tout colmatage. D’autres espèces recherchent ces eaux plus oxygénées où la productivité en invertébrés et poissons est souvent forte. Et d’autres encore passent de l’un à l’autre et tirent profit de ces deux habitats qui alternent en général très régulièrement sur les cours d’eau naturels, du petit ruisseau au grand fleuve. Lorsque l’eau vient buter sur la rive abrupte d’une courbe, il arrive qu’elle creuse sous la berge une cavité assez vaste, une sorte de grotte aquatique que les grosses racines des arbres riverains fixent et cloisonnent. Ce sont les chaves, autrefois bien connus des pêcheurs car servant fréquemment de refuge à bien des espèces de poissons qui, dans les rivières artificialisées, restent en permanence à la merci du courant et des prédateurs. Et puis le lit d’une rivière naturelle, c’est aussi du bois. Celui des branches cassées ou des arbres qui tombent et deviennent la proie d’une multitude d’invertébrés, algues, champignons qui à leur tour vont contribuer à renforcer les chaînes trophiques (2). Ce phénomène est particulièrement marqué dans les rivières colonisées par les castors dont l’activité consiste souvent à traîner du bois dans la rivière pour les barrages, les huttes, les repas… Dans de telles rivières, la biomasse (3) des seuls invertébrés est multipliée par trois !
Délimitant le lit, les berges dans leurs diversités offrent autant de lieux de vie distincts : berges herbeuses, vaseuses, sableuses, caillouteuses… Berges sapées aussi, que l’érosion a taillées comme des murs dans lesquels le martin-pêcheur ou les hirondelles de rivage viennent creuser leurs terriers. Ailleurs au contraire, les berges sont basses et laissent facilement les hautes eaux envahir des espaces parfois modestes et parfois fort étendus, tous témoins de divagations anciennes de la rivière. Ces espaces inondables, plus ou moins régulièrement inondés, souvent mis à profit par les hommes pour y installer leurs prairies, accueillent nombres d’espèces animales et végétales spécialisées. Mais ils ont aussi un rôle fonctionnel majeur. En stockant l’eau des crues pour la restituer un peu plus tard, ils brisent l’énergie de la crue, aplatissent son pic et limitent son intensité à l’aval.
Et puis autour de la rivière naturelle, le plus souvent, se trouve la forêt. Une forêt un peu particulière, faite d’essences adaptées aux situations humides dans les parties les plus basses, saule argenté, frêne, peupliers noirs ou blancs, tilleul, où vont s’insinuer progressivement des arbres à bois plus dur lorsque les situations stationnelles s’élèvent. Ces forêts où la masse de bois mort est importante sont particulièrement riches en terme de biodiversité
Le Beuvron au fil de l'homme
Pezay. Le nouveau lit du Beuvron part à gauche vers
le barrage que l'on aperçoit. L'ancien lit à droite,
devenu bief, file vers le moulin
(4). Oiseaux, insectes, lianes, y atteignent des densités inégalées ailleurs. Les fonctions qu’elles remplissent sont majeures car le dense système racinaire des arbres facilite l’accès de l’eau aux nappes phréatiques et dans le même temps y puise tous les éléments minéraux nécessaires. Ces formations boisées sont donc d’une grande importance dans la qualité de l’eau en l’épurant notamment des phosphates et autres nitrates.

Voici donc les principaux éléments morphologiques, biologiques et fonctionnels des rivières naturelles, certes largement mis à mal un peu partout au cours du XX e siècle mais encore observables dans des sites préservés. Et tel fut notre Beuvron. Conservait-il cependant l’ensemble de ces caractéristiques, disons dans les années d’après-guerre, alors que les hommes estimaient qu’il était plus une gêne qu’un atout et qu’il conviendrait d’y remédier ?

La situation dans les années 50
Assurément non, dès l’époque préhistorique les chasseurs-cueilleurs exploitaient les rivières à la mesure de leurs moyens. Les denses populations de grandes mulettes
(5), un grand bivalve noir qui « dallait » littéralement certains secteurs et jouait un rôle complexe dans la reproduction des esturgeons, en firent les frais. Elles constituaient un apport facile en protéines et des éléments de parure, grâce au nacre de leurs valves. Lorsque vinrent les cultivateurs, vint le temps des grands défrichements. Il dura probablement des siècles, rognant progressivement les boisements au profit des champs et des prairies dans les zones les plus humides. Il dura jusqu’à l’avènement de l’ère industrielle où les besoins en bois étaient énormes. Dans l’intervalle était apparu le temps des moulins qui avaient commencé à séquencer les linéaires en tronçons successifs, mettant un terme à la libre circulation des poissons migrateurs et des sédiments.
Sans savoir à quoi ressemblait précisément le Beuvron de cette époque, et tel n’est pas le sujet de cet article, il est certain qu’il avait bien changé. Pour autant, les forêts repoussent, les extractions n’avaient pas été majeures, la rivière conservait une morphologie qui lui permettait de fonctionner ainsi que de fortes potentialités de résilience au niveau du biologique.
Mais les temps avaient changé. Dans un contexte de pays à redresser, les années 50 voient se dessiner des politiques agricoles nouvelles. L’accent est mis sur la productivité du modèle agricole pour favoriser la rentabilité des exploitations et bénéficier à l’économie générale du pays. Nombre d’exploitants souhaitent par ailleurs se dégager des contraintes liées à l’élevage et abandonnent le système polyculture-élevage. Toutes ces considérations socio-économiques légitimes aboutissent au constat que l’eau est un frein pour progresser. L’eau engorge les terrains, retarde et pénalise les récoltes, contrarie les travaux. Dans les vals, l’eau des crues empêche de convertir les prairies en cultures, quand elle n’interdit pas tout bonnement les emblaves
(6) ou les détruit. Il faut se débarrasser de l’eau.
Mais il y a autre chose. Plus fort encore peut-être. Quelque chose d’ordre culturel. Nous appartenons à une civilisation imprégnée du fait qu’il faut dominer la nature, s’opposer à elle en quelque sorte pour faire triompher le progrès. Il en est ainsi depuis que l’homme a inventé la domestication des animaux et l’agriculture et qu’il eut besoin d’espaces. Mais à des degrés divers, bien observables dans la lecture des paysages de chacune des régions naturelles de notre département. Des philosophes et des sociologues estiment qu’il existe une véritable peur inconsciente de la nature, ce domaine qui échappe à notre volonté. D’où les notions de propre et de sale, la méfiance envers le spontané, le « sauvage ». La répulsion envers les marais, les terrains ennoyés, la vase. Insalubres, dangereux, maléfiques..., il faut en finir avec ces espaces qui échappent au contrôle qui nous rassure.
Impératifs économiques, aspirations sociales légitimes, contexte culturel, méconnaissance totale de la science écologique, c’est un alignement parfait des planètes pour mettre en oeuvre un plan global d’élimination instantanée de toute l’eau jugée en excès.

Le Beuvron au fil de l'homme
La digue de Pezay maintient le Beuvron surélevé par 
rapport aux boisements humides de sa rive gauche
L’aménagement hydraulique des années 70
L’article 2 de la loi du 7 juin 1951 autorise l’État à entreprendre d’office, après consultation des collectivités locales et des organisations professionnelles concernées, tous travaux d’équipement rural d’envergure. C’est sur cette base qu’un mémoire explicatif est présenté en juin 1956 par la direction générale du génie rural et de l’hydraulique agricole, détaillant les travaux envisagés sur le bassin du Beuvron. Il semble que les pressions locales soient demeurées fortes puisqu’en mai 1958, Bernard Paumier, alors député du Loir-et-Cher, pose une question écrite au ministre de l’agriculture sur le sujet des difficultés rencontrées par les riverains du Beuvron, en mettant l’accent sur les pêcheurs, la pisciculture et les inondations. Le programme hydraulique du ministère de l’agriculture affecte en 1958 de premières sommes pour les travaux d’aménagement du bassin du Beuvron. Il s’agit des travaux de terrassement et de l’édification d’ouvrages d’art sur la rivière et ses principaux affluents qui tous, dans le langage administratif, deviennent des « émissaires ». Il est bien spécifié que ces travaux « devront nécessairement être complétés par l’aménagement des réseaux d’assainissement communaux (les fossés) pour que l’aménagement agricole des eaux de la vallée du Beuvron soit réalisé intégralement avec le maximum d’efficacité ».

Imaginés dès le début par l’administration, plusieurs syndicats de rivière sont créés cette même année 1958
Celui où siègeront les représentants de nos deux communes est celui du « Beuvron Centre-aval », qui concerne un linéaire allant du pont de Clénord à Neuvy. Les syndicats sont notamment chargés de la gestion opérationnelle et financière du programme mais s’irriteront un peu plus tard d’être réduits au rôle de chambre d’enregistrement de décisions administratives. Lors de sa séance du 27 octobre 1959, notre syndicat donne néanmoins un avis favorable au projet d’aménagement du cours inférieur du Beuvron présenté par l’administration. Il s’agit de la réfection du lit du Beuvron de sa confluence à Clénord et de l’aménagement du moulin de Pezay. Nous reviendrons sur le cas un peu complexe de ce moulin et de son barrage courchois qui allait par la suite s’avérer riche en rebondissements. Puis durant neuf années, le syndicat ne se réunit plus car aucun crédit et aucune subvention ne seront débloqués pour effectuer les travaux. En novembre 1968 son président s’impatiente et les travaux « de réfection du lit » pourront progressivement débuter. Mais que cache cette dénomination administrative et floue des travaux de terrassement ? Le seul objectif est bien d’évacuer au plus vite vers l’aval l’eau qui gêne. Le seul objectif est hydraulique. Le projet sera un projet d’hydrauliciens, nullement tempéré à notre connaissance par des avis émanant de spécialistes des sciences de la vie. Le Beuvron sera divisé en longs tronçons rectilignes reliés entre eux par des angulations minimales. Il sera curé, approfondi, ses fonds seront aplanis. Il sera calibré sur toute sa longueur afin que ne subsiste aucun goulet d’étranglement, et même s’il faut en certains endroits l’élargir de plusieurs mètres. Les matériaux extraits seront déposés sur les berges et régalés, venant combler bras morts et innombrables irrégularités séculaires. Les berges seront ainsi réhaussées, limitant encore les risques de débordement.
Le Beuvron au fil de l'homme
 Le barrage de Pezay (ou Pezé) - AD41
Ainsi fut fait. L’ampleur des travaux engagés fut spectaculaire. Ils s’étalèrent par tranches durant plus d’une décennie. Ces travaux s’imposaient aux propriétaires, sous peine de procédures d’expropriation qui ne furent jamais engagées. Petit à petit, le Beuvron prit l’aspect que nous lui connaissons, celui d’un cours d’eau artificialisé, chenalisé, parfois même endigué. Et très vite s’imposa au syndicat le problème de l’entretien des linéaires travaillés, sous peine de voir la végétation envahir rapidement les nouvelles berges et pire encore le lit lui-même, élargi et bien trop grand pour des étiages devenus records. Sans états d’âme, dans la froideur de logiques administratives et technocratiques, les services de l’État proposèrent au syndicat lors de sa séance de novembre 1974, un traitement chimique régulier de la végétation. Ce fut l’honneur du comité syndical que de repousser cette proposition sur des motifs environnementaux. Il opta dès l’année suivante pour des traitements mécaniques réguliers à la pelle hydraulique sur des pas de temps de 3 à 5 ans, réalisés par des entreprises locales. Et repoussa dans le même temps l’idée du garde-rivière, pourtant mise en application ailleurs dès cette époque mais jugée inadéquate. Il faudra attendre encore 20 ans pour voir se concrétiser, à la demande de l’autorité préfectorale, cette proposition et apparaître des entretiens plus doux. C’est à cette même époque qu’apparaît la terminologie « restauration du Beuvron et de ses affluents » pour qualifier les opérations d’entretien courant de la végétation.
Dès la conception du projet, il apparaissait clair que l’utilisation des barrages existants et la construction de nouveaux seraient nécessaires pour assurer la permanence d’une lame d’eau lors des étiages estivaux et limiter ainsi « la reprise sauvage de la végétation » comme il est dit dans l’un des comptes-rendus. Il semble également qu’une certaine limitation de l’érosion des nouvelles berges était attendue, en limitant les fluctuations de niveaux. Toute une série de barrages, divers dans leur fonctionnement, vont ainsi être construits sur le Beuvron et ses affluents. Quatre sont décidés lors de la première tranche de travaux, sur Bracieux, Tour et Neuvy. Très rapidement, des maires puis des particuliers vont réclamer la construction de nouveaux barrages dont le nombre va régulièrement augmenter. Les premiers, comme celui de Neuvy, bien visible depuis le pont, sont des barrages à aiguilles. Composés de pieux juxtaposés, n’excédant pas un mètre de haut, ils sont édifiés puis démontés chaque année. Mais le coût global est important, d’autant que des modifications techniques viennent alourdir la note. En janvier 1974, le comité syndical s’en inquiète et considère que la charge des barrages dits « d’environnement » est excessive. Il recommande à chaque commune d’incorporer ces barrages dans les travaux communaux à venir. Un peu plus tard, il apparaît que ces barrages sont néanmoins désirés par « la majorité des communes » et le syndicat poursuit sa quête de subventions. En avril 1975, dans le cadre du « plan de soutien à l’économie », une demande est ainsi faite à Jean-François Deniau, riverain du Beuvron sur Cour-Cheverny et alors secrétaire d’État à l’agriculture. La réponse est rapide et favorable. 

Le Beuvron au fil de l'homme
À suivre... 

La seconde partie de cet article sera publiée dans notre prochain numéro. 

J.-P. J.  

Explications
(1) Radier : segment de rivière de faible profondeur où le courant s’accélère. Radiers et fosses alternent très régulièrement avec une fréquence quasi mathématique en rapport avec la largeur du cours d’eau.
(2) Chaînes trophiques : elles désignent les successions de prédations régulant les « équilibres » entre espèces. L’invertébré végétarien mangé par l’invertébré carnivore, lui-même mangé par le poisson, lui-même mangé par le martin-pêcheur, puis le rapace...
(3) Biomasse : masse globale des êtres vivants, ou d’un groupe d’êtres vivants (invertébrés par exemple) d’un milieu.
(4) Biodiversité : notion qui définit la diversité du vivant dont les animaux, plantes, champignons, parasites, micro-organismes. Elle concerne également la diversité des écosystèmes, la diversité génétique au sein des espèces, ainsi que la diversité des interactions au sein et entre ces différents niveaux».
(5) Mulettes : mollusques d’eau douce assez semblables aux moules marines. Plusieurs espèces vivent dans nos rivières. La plus grande, la « grande mulette », qui atteint 20 cm de long, en a par contre disparu.
(6) Emblaves : terres ensemencées en blé.

La Grenouille n°53 - Octobre 2021


Suite de notre article paru dans le n° 53 de La Grenouille

Un cas particulier, qui concerne directement la commune de Cour-Cheverny, est le barrage du moulin de Pezay
Le moulin lui-même est implanté sur la commune de Mont-près-Chambord mais la rivière est aussi la limite entre les deux communes et le barrage attenant leur est donc à l’époque commun. Avant travaux, il n’y a aucun bief (1).
Le Beuvron au fil de l'hommeLe moulin, son barrage et sa prise d’eau, sont implantés directement sur la rivière, comme c’est fréquemment le cas. Mais les travaux programmés imposent un calibrage de la rivière qui doit être élargie. Les contraintes techniques orientent vers la création d’un tout nouveau lit qui emprunte le tracé de filets d’eau antérieurs. Ce nouveau lit court-circuite le moulin et le lit originel qui devient bief et continue à l’alimenter. Un barrage important est édifié en 1968 sur le nouveau lit qui présente à ce niveau une profondeur conséquente mais également un inconvénient qui aura son importance : il est en surplomb par rapport aux terrains qui le bordent en rive gauche.

Le Beuvron au fil de l'homme
Cette configuration est celle que l’on peut facilement observer aujourd’hui depuis le parcours de pêche. Les limites communales n’ayant pas été modifiées, nouveau lit et barrage sont donc depuis intégralement sur le territoire courchois. Le barrage de Pezay présente la singularité d’avoir été un barrage d’État, construit par lui et lui appartenant. Le syndicat n’était en rien responsable de son entretien ni de ses manoeuvres qui sont confiées dans un premier temps au meunier en place. Mais la propriété doit être vendue et pas plus le nouveau propriétaire que l’ancien, ou même la commune un temps pressentie, ne se montrent intéressés par la manoeuvre des vannes lorsqu’une crue est annoncée. Cette situation qui s’éternise a un inconvénient majeur. Les vannes n’étant pas relevées, les crues ne peuvent franchir l’ouvrage correctement. Il se crée alors à l’amont une submersion de la digue en rive gauche et celle-ci étant en surplomb, l’ouverture de brèches que le syndicat se voit contraint de réparer, notamment en 1980. Il faudra cependant attendre 1987, après de multiples péripéties et l’ouverture d’une nouvelle brèche pour que des solutions juridiques et techniques soient arrêtées. Sur des subventions départementales et d’État, des travaux de remise en état de la digue, la construction de déversoirs, l’électrification et l’automatisation de quatre des huit vannes du barrage sont décidées. Au terme des travaux, en 1988, l’ouvrage dit « de retenue » sera remis au syndicat. Il en aura la responsabilité et acquiert le foncier supportant l’ouvrage. En 1996, il accepte de recevoir au franc symbolique les ouvrages de décharge du barrage de Pezay.

Autre épisode courchois de cette période, celui du gué du Vivier
Jean-François Deniau, propriétaire des lieux, souhaite que le syndicat recrée un gué historiquement présent et bien sûr emporté dans la tourmente des terrassements. Le syndicat donne son accord, pour une somme d’ailleurs modeste, sous réserve que l’existence de celui-ci avant les travaux puisse être prouvée. Mais aucune suite à cette requête dans les archives. La raison n’est probablement pas historique mais fonctionnelle. Les gués étant l’apanage des radiers, tous balayés par l’uniformisation des fonds.
En septembre 1980, après dix années de travaux, le syndicat du Beuvron centre-aval et l’administration dressent un premier bilan. Les 55 kilomètres de rivière ont fait l’objet des travaux programmés, 15 barrages, préexistants ou créés, sont en fonction (6 automatiques, 5 à vannes manuelles et 4 à aiguilles), 78 kilomètres de fossés sont réalisés. Restent à réaliser 3 barrages et 69 kilomètres de fossés. Mais le nombre de barrages continuera à s’accroître au gré des demandes. Ainsi en 1996, deux retenues d’eau sont décidées sur le Nizeron, à la demande de la commune de Courmemin et d’un particulier.

Le Beuvron au fil de l'homme
La grande révolution des conceptsMais les temps changent. L’opinion publique progressivement s’émeut de ces bouleversements qu’elle constate, car c’est aussi le temps des grands remembrements avec son cortège de haies arrachées, de talus arasés, de rivières rectifiées. Des associations se créent. Le ministère de l’environnement apparaît en 1969 et impose dans les années 70 les notions d’étude d’impact, de « personne qualifiée en protection de la nature ». Le ministère de l’impossible disait son premier titulaire. Dans la pratique, d’études bâclées en coups de force administratifs, les choses continuent comme avant et conduisent une association départementale de protection de la nature à déclencher une procédure administrative d’envergure à Vallières-les-Grandes. Victoire sur le papier mais sans traduction sur le terrain. Le préfet passe outre. Une inflexion cependant est donnée. Les travaux confiés aux services de l’agriculture ou à ceux de l’équipement sur les rivières deviennent moins caricaturaux, un effort est consenti pour préserver quelques arbres, quelques segments de rive, quelques méandres.
Le Beuvron au fil de l'homme
Durant les années 90 apparaît le concept de service écosystémique. Devant le double constat que nos sociétés ne sont pas spontanément et viscéralement portées à la préservation des écosystèmes, que certaines de leurs fonctions cependant nous sont indispensables et que les sommes à investir pour les remplacer seraient considérables, le service écosystémique conduit à leur donner une valeur que tout le monde comprend, d’ordre financier. Ces services sont nombreux et dans le domaine qui nous intéresse ici concernent la qualité de l’eau au travers des mécanismes d’autoépuration des rivières, et la ressource en eau grâce à la recharge des nappes souterraines. Deux domaines cruciaux bien sûr dans la période de changement climatique que nous abordons. Et puis se greffe ici le sujet de la biodiversité. Le débat a longtemps été vif dans la communauté scientifique pour savoir si la biodiversité était utile, voire nécessaire, au fonctionnement des écosystèmes. Plusieurs études cependant parmi les plus récentes convergent pour penser que la biodiversité a dans ce domaine un effet général positif en induisant une résistance de l’ensemble aux perturbations de toutes natures, y compris d’ordre infectieux. Des conclusions cruciales là encore dans un contexte de maladies émergentes répétées, dont certaines pandémiques, et dont les origines restent floues. Dans ce cadre, la biodiversité en soi constitue un service écosystémique majeur.
En 2006, la « loi sur l’eau » est promulguée. Il s’agit de la déclinaison nationale d’une Directive Cadre Européenne adoptée en 2000. Certainement imparfaite, elle amène néanmoins dans de multiples domaines des avancées majeures et ambitionne notamment la reconquête de la qualité écologique des cours d’eau. Le respect du « bon état écologique », dit la loi, suppose que les milieux aquatiques soient entretenus en utilisant des techniques douces et que les continuités écologiques soient assurées, tant pour les migrations des espèces amphihalines (2)
Le Beuvron au fil de l'homme
que pour le transit sédimentaire. Le terme de révolution en effet ne paraît pas trop fort concernant le revirement total des politiques publiques dans ce domaine. En un demi-siècle, l’amélioration des connaissances, l’aspiration des citoyens, le débat public, l’émergence de défis majeurs pour l’humanité, la volonté politique, ont totalement modifié la donne. Des termes inconnus il y a peu sont apparus dans le langage des gestionnaires de rivières. Comme renaturation, reméandrage, reconnexion, recharge granulométrique des lits, effacement de barrages…

Le Beuvron aujourd’hui… et demain
Alors que le syndicat du Beuvron Centreaval disparaît le 31 décembre 2017 pour se fondre avec ses homologues dans une structure unique à l’échelle du bassin, le syndicat d’entretien du bassin du Beuvron (SEBB), le temps des citoyens qui constatent et s’interrogent est venu depuis déjà longtemps. Il n’est ni de notre intention ni de notre compétence de dresser ici un bilan. Mais il est possible, en citoyens responsables, d’exposer quelques réalités factuelles.
Les ingénieurs de la direction générale du génie rural et de l’hydraulique agricole qui présentent le projet en 1956 le font uniquement sur des motivations agricoles et sociales. Il s’agit de mettre en valeur une grande surface de terres sous-exploitées, de les rentabiliser et d’enrayer une partie de l’exode des ruraux. Force est aujourd’hui de constater que l’agriculture en Sologne a très fortement régressé, lorsqu’elle n’a pas disparu, que les terres agricoles se sont massivement boisées, que la chasse est devenue dominante et que les fermes sont fréquemment devenues résidences secondaires.
Sur le plan des strictes inondations, l’épisode de 2016 pose quelques questions. Certes la pluviométrie fut exceptionnelle. Mais le fait que les châteaux de La Ferté-Saint-Aubin et de Chambord, tous deux sur le Cosson, se retrouvèrent inondés pour la première fois prouve l’ampleur inégalée des crues alors que l’on peut penser que bien d’autres phénomènes pluvieux hors normes se sont produits depuis le XVI

Le Beuvron au fil de l'homme
e siècle. Et certes les causes sont multifactorielles, urbanisation, artificialisation des sols, multiplication et gestion différente des étangs, drainage des forêts, mais on peut se demander si la logique qui consiste à évacuer l’eau le plus vite possible depuis le champ le plus amont jusqu’à la rivière elle-même n’est pas contre-productive. Car si nous évacuons au plus vite notre eau, nos voisins aval doivent la supporter, comme nous devons supporter celle de nos voisins amont.
Pour ce qui concerne le chapitre de l’écologie et de la biodiversité, tout est simple puisque le sujet était juste ignoré à l’époque. Aucun inventaire, aucune étude portant sur les fonctionnalités de la rivière n’ont été entreprises. Nous ne saurons jamais ce que nous avons tous collectivement perdu dans cette aventure, dans ces 1 280 000 mètres cubes de déblais remués par les engins hors bassins du Cosson et de la Bièvre et qui représentaient des siècles de fonctionnalités patiemment élaborées et de stocks de graines (3).
Et puis il y a l’humain. À l’époque, à côté de ceux qui se battaient pour de meilleures conditions d’exercice de leur métier et de meilleures conditions de vie, d’autres avaient des rapports plus affectifs avec la rivière. Elle avait pris une place importante dans la qualité de leur vie et elle disparut, sans qu’ils aient eu droit de parole. Il y eut des drames humains autour du Beuvron. Comme dans tous les aménagements publics autoritaires probablement, mais avec une dimension émotionnelle particulière autour d’une entité qu’on voit vivre et évoluer progressivement, qui est un héritage culturel, qui a un nom… Aujourd’hui, les riverains du Beuvron sont de générations qui n’ont pas connu la rivière « d’avant ». Alors la situation actuelle paraît plus normale.
Le Beuvron de demain, lui, est en train de se dessiner à la lumière notamment de la loi sur l’eau. Mais les principes qu’elle contient sont fréquemment à l’opposé même de ceux des années cinquante. Il s’agit de donner une respiration à l’écosystème « rivière ». On a incisé le Beuvron en approfondissant ses fonds, en le déconnectant ainsi de ses annexes où sont ses fonctionnalités. Or, moins la rivière peut déborder, plus la force du courant l’incise plus encore et moins elle peut déborder… Ce mécanisme pervers et infernal est en train d’asphyxier notre rivière à petit feu. Il s’agit donc de lui permettre de reprendre des matériaux sur ses berges, de se recharger en ébauchant des méandres, voire d’en recréer de toutes pièces et de regagner ainsi des possibilités de débordement et de fonctionnalité.

Le Beuvron au fil de l'homme
Un tel revirement des pratiques de gestion ne peut que poser des problèmes de compréhension et d’acceptabilité.
Les riverains comme nous l’avons vu sont familiers du cours d’eau tel qu’il est, préfèrent souvent voir leurs terrains hors d’eau plutôt que inondables à nouveau, d’autant que des usages nouveaux, tournant autour des loisirs, ont pu s’y développer. Même dans les propriétés de chasse l’inondation potentielle est vécue comme une contrainte qui peut amener à différer des dates de chasses. Les notions d’ordre culturel évoquées plus haut imprègnent encore très fortement les réactions. Le projet est en outre fréquemment interprété comme inutilement dispensateur de fonds publics. Alors que, nous l’avons vu, les enjeux concernent la qualité de l’eau, la ressource en eau et la biodiversité, qui tous au travers des services écosystémiques auront des traductions budgétaires majeures. Or, si les travaux de 70 s’imposaient à tous, les travaux de renaturation actuellement proposés ne peuvent se faire qu’avec l’accord des propriétaires riverains. Deux poids et deux mesures qui posent question.
Autre difficulté sur la route de la renaturation du Beuvron, la présence sur son bas cours de plusieurs grands barrages dont certains sont déjà équipés pour la production hydroélectrique. Se priver d’un tel service durable et décarboné pour privilégier des services écosystémiques est-il pertinent aux plans éthique et financier ? Question a priori compliquée pour laquelle une partie de la réponse viendra peut-être à terme de la technique. Un barrage « nouvelle génération » se construit en ce moment même en Haute-Loire sur la Loire en remplacement d’un vieux barrage imperméable à la remontée des saumons. Les saumons rejoindront leurs anciennes frayères (4) et les sédiments iront alimenter à l’aval une rivière plus vivante tandis que 85 % de la production électrique sera conservée. Certes 85 % seulement diront les uns et barrage quand même diront les autres, mais voici un compromis intelligent, innovant, réaliste, que les décennies qui viennent verront probablement se décliner sur d’autres rivières françaises.
Pour l’heure, les temps de la renaturation sont venus pour le Beuvron et passent souvent par la réalisation de « banquettes alluviales ». Il s’agit de déposer sur un côté du cours des matériaux destinés à se fixer et dont l’objet est de dévier l’axe du courant afin que la rivière ébauche, sinon un méandre, du moins une sinuosité et se recharge ainsi en sédiments. Ces banquettes sont réalisées avec les matériaux autrefois régalés sur les berges, qui retrouvent le lit de la rivière et libèrent pour les crues l’accès à des champs d’expansion. Ailleurs sur des affluents, il s’agit de « recharges granulométriques » pour rehausser un fond trop incisé et permettre à la prairie humide attenante de conserver son caractère humide, sinon par submersion, du moins par imbibition des sols. Ailleurs encore, il s’agit de reconnecter à la rivière des zones humides ou des annexes pour restaurer des habitats aquatiques ou des frayères et limiter dans le même temps les crues à l’aval. Ailleurs, on « efface », terme consacré, les premiers barrages… Pour l’heure, la création de méandres, qui consisterait à recréer un nouveau lit est plus difficile. Certes pour des problèmes d’acceptabilité comme nous l’avons vu, mais aussi parce que l’objectif n’est pas esthétique mais bien fonctionnel et justifie de nombreuses réflexions et études.
En sept décennies, notre « rivière aux castors » est ainsi passée du statut de rivière à naturalité acceptable mais subie à celui d’émissaire puis à celui d’écosystème à restaurer. Tant de décennies sont devant elle pour, qu’avec l’aide des hommes, cette période ne soit qu’un épiphénomène dans sa vie de rivière… Et que l’humanité invente, espérons-le, des rapports apaisés avec son environnement naturel.

J.-P. J.

Remerciements
Tous nos remerciements à Joël Debuigne, président du syndicat d’entretien du bassin du Beuvron pour nous avoir permis de consulter les archives du syndicat « centre-aval », ainsi qu’à son directeur, Dominique Béguin, et à l’ensemble du personnel pour la qualité de leur accueil et leur disponibilité.

Explications 
(1) Bief : chenal qui dévie une partie des eaux d’une rivière vers un moulin.
(2) Amphihaline : espèce migratrice dont le cycle de vie alterne entre le milieu marin et l’eau douce.
(3) Stock de graines : ensemble des graines des espèces sauvages restant dans le sol durant parfois des décennies, ayant conservé leur pouvoir germinatif, et aptes à entrer en phase végétative lorsque les conditions leur deviennent favorables.
(4)
Frayère : lieu aquatique où se reproduisent les poissons et les amphibiens. 

La Grenouille n°54 - Janvier 2022

Voir aussi : Le Beuvron

http://lagrenouillememoire.blogspot.com/2022/01/Le%20Beuvron.html