Comment suis-je arrivé sur
ce chemin ?
D’un gland tombé là par hasard, ou
abandonné par un écureuil distrait, ou encore échappé du bec d’un geai criard
ou d’un pigeon pressé, nul ne le sait. Je peux aussi être né de la volonté d’un
forestier dans le cadre de la gestion de cette forêt et issu d’un chêne voisin.
Quoi qu’il en soit, j’ai réussi à me développer sur ce chemin en échappant à la
dent du chevreuil, du cerf et même à la faux et au croissant des cantonniers de
l’époque. Il faut cependant préciser que lors de ma prime jeunesse, le trafic était
sans doute essentiellement représenté par des chariots tirés par des boeufs ou
des chevaux, mais aussi par des cavaliers et des piétons de tous ordres. Et, au
vu de la largeur du chemin à cet endroit, seul son centre était utilisé,
laissant les bords se reboiser, dès que les entretiens ont été délaissés. D’ailleurs,
quelques autres arbres de moindre importance ont également pu se développer sur
ce chemin. En grandissant, ma taille aidant, la crainte de me faire écraser ou
blesser s’est estompée. Le trafic devenant très limité, car d’autres voies plus
carrossables étant créées dans ce massif, je pus alors me développer avec plus
de sérénité, même si quelques engins motorisés empruntent aujourd’hui parfois cet
axe à l’accès ardu.
En l’absence de concurrence directe, je n’ai pas bénéficié d’un élagage naturel, et de ce fait, mon houppier s’est développé sans contrainte (23 m de diamètre pour une hauteur totale équivalente). Il présente aujourd’hui, en 2024, un important volume, ce qui me procure un grand pouvoir de photosynthèse, donc une croissance soutenue. (Un carottage sur 55 mm donne un nombre de 24 années, soit une moyenne d’accroissement de 2,3 mm/ an). Extrapolé sur le rayon, cela me donnerait un âge approchant les 250 ans, qu’il convient de moduler à plus ou moins 10 %, car ma croissance a pu être plus importante quand j’étais plus jeune. Cependant, mon tronc, s’il dépasse les 3,60 m de circonférence, ne présente pas une grande longueur, les premières branches basses le limitent à quelque 5 m. Ce qui me confère une plus grande valeur esthétique qu’économique. Au vu de mon grand âge, j’aurai quand même connu la Révolution, Napoléon, les derniers rois de France, et les trois dernières guerres en ayant entendu parler de Bismarck en 1870, du Kronprinz en 1914/18 et de Hitler en 1939/45. J’ai même entendu hurler les derniers loups tués en Sologne à la fin du XIXe siècle, notamment en forêt de Russy, de Boulogne et de Cheverny. Outre le fait d’avoir fabriqué des milliers de mètres cubes d’oxygène, d’avoir stocké dans mes branches et dans mon tronc des tonnes de carbone, j’ai eu aussi mille et une autres fonctions.
Point de repère
géographique et hôtel restaurant
Mon énorme houppier (la plus longue branche
a une portée de 15 m) a servi de gîte et de couvert à une foultitude d’êtres
vivants : pigeon, geai, corbeau, loir, mulot, écureuil se sont nourris de mes
fruits, sans oublier cerf et sanglier. Combien d’oiseaux et de petits
mammifères sont venus y cacher leurs amours printanières et y construire leur
nid, combien d’insectes y sont nés, se sont nourris de mes feuilles et ont
servi de repas à ces volatiles discrets ? Certains de ceux-ci, reconnaissants, continuent
d’agrémenter mon feuillage de leur chant estival : loriot, coucou, pinson, mésange
et quelques autres moins mélodieux comme geai et corbeau. Point de repère aussi,
car un tronc de cette taille, situé sur le bord d’un chemin rural ne passe pas
inaperçu (mon houppier est même visible sur Google Earth à 300 m d’altitude,
point GPS : 47° 28’ 36’’ N - 1° 28’ 51’’ E). J’en ai vu passer des générations
de gardes, de chasseurs, de braconniers et de veneurs ! J’ai aussi vu passer des
rouliers et leurs charrois, des colporteurs, des bûcherons, des randonneurs,
des ramasseurs de champignons et même des bandits de grands chemins. J’en ai
même vu qui se sont soulagés sur mes racines…et d’autres qui se sont mis à l’abri
sous mon feuillage lors d’une averse soudaine. J’ai pu aussi servir de poste d’observation
et de tir pour un chasseur lors d’une battue au grand gibier.
un élément remarquable du patrimoine vivant de cette commune.
Michel Bourgeois
La Grenouille n°63 - Avril 2024
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de nous donner votre avis sur cet article, de nous transmettre un complément d'information ou de nous suggérer une correction à y apporter