Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire

Né sur le territoire communal de Cheverny
Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire
Je m’appelle chêne sessile (quercus sessiliflora ou pétraea pour les puristes).« Sessile », parce que mes glands sont directement insérés sur mes rameaux et « non pédonculés » comme mon cousin chêne pédonculé (quercus pédunculata ou robur) qui lui, présente ses glands au bout d’une tige (pédoncule). Avec la cupule de son gland, il forme comme une mini pipe.
Je suis moins gourmand en eau que mon cousin chêne pédonculé qui est pratiquement condamné à disparaître au sud de la Loire du fait du dérèglement climatique. J’ai pris racine sur l’emprise du chemin rural n° 68, dit chemin de Soings à Cheverny. Cette ancienne voie relativement large (près de 10 m) fut sans doute autrefois un axe de grande fréquentation. Situé au coeur de la forêt de Cheverny, ce chemin rural croise quelques centaines de mètres plus au sud le Chemin des Boeufs, au carrefour de Vibraye. Cette autre voie importante traverse ce massif de part en part et fait partie de la « Route européenne d’Artagnan » (1). Du fait de cette grande largeur du chemin rural, j’ai eu de l’espace et mon houppier s’est développé sans aucune gêne, il présente aujourd’hui un volume important. Mon tronc aussi s’est bien développé, malheureusement pour sa valeur économique, mieux en diamètre qu’en hauteur…
Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire

Comment suis-je arrivé sur ce chemin ?
D’un gland tombé là par hasard, ou abandonné par un écureuil distrait, ou encore échappé du bec d’un geai criard ou d’un pigeon pressé, nul ne le sait. Je peux aussi être né de la volonté d’un forestier dans le cadre de la gestion de cette forêt et issu d’un chêne voisin. Quoi qu’il en soit, j’ai réussi à me développer sur ce chemin en échappant à la dent du chevreuil, du cerf et même à la faux et au croissant des cantonniers de l’époque. Il faut cependant préciser que lors de ma prime jeunesse, le trafic était sans doute essentiellement représenté par des chariots tirés par des boeufs ou des chevaux, mais aussi par des cavaliers et des piétons de tous ordres. Et, au vu de la largeur du chemin à cet endroit, seul son centre était utilisé, laissant les bords se reboiser, dès que les entretiens ont été délaissés. D’ailleurs, quelques autres arbres de moindre importance ont également pu se développer sur ce chemin. En grandissant, ma taille aidant, la crainte de me faire écraser ou blesser s’est estompée. Le trafic devenant très limité, car d’autres voies plus carrossables étant créées dans ce massif, je pus alors me développer avec plus de sérénité, même si quelques engins motorisés empruntent aujourd’hui parfois cet axe à l’accès ardu.

Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire
Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire
Un mètre quinze de diamètre, plus de deux siècles.
En l’absence de concurrence directe, je n’ai pas bénéficié d’un élagage naturel, et de ce fait, mon houppier s’est développé sans contrainte (23 m de diamètre pour une hauteur totale équivalente). Il présente aujourd’hui, en 2024, un important volume, ce qui me procure un grand pouvoir de photosynthèse, donc une croissance soutenue. (Un carottage sur 55 mm donne un nombre de 24 années, soit une moyenne d’accroissement de 2,3 mm/ an). Extrapolé sur le rayon, cela me donnerait un âge approchant les 250 ans, qu’il convient de moduler à plus ou moins 10 %, car ma croissance a pu être plus importante quand j’étais plus jeune. Cependant, mon tronc, s’il dépasse les 3,60 m de circonférence, ne présente pas une grande longueur, les premières branches basses le limitent à quelque 5 m. Ce qui me confère une plus grande valeur esthétique qu’économique. Au vu de mon grand âge, j’aurai quand même connu la Révolution, Napoléon, les derniers rois de France, et les trois dernières guerres en ayant entendu parler de Bismarck en 1870, du Kronprinz en 1914/18 et de Hitler en 1939/45. J’ai même entendu hurler les derniers loups tués en Sologne à la fin du XIXe siècle, notamment en forêt de Russy, de Boulogne et de Cheverny. Outre le fait d’avoir fabriqué des milliers de mètres cubes d’oxygène, d’avoir stocké dans mes branches et dans mon tronc des tonnes de carbone, j’ai eu aussi mille et une autres fonctions.
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Point de repère géographique et hôtel restaurant
Mon énorme houppier (la plus longue branche a une portée de 15 m) a servi de gîte et de couvert à une foultitude d’êtres vivants : pigeon, geai, corbeau, loir, mulot, écureuil se sont nourris de mes fruits, sans oublier cerf et sanglier. Combien d’oiseaux et de petits mammifères sont venus y cacher leurs amours printanières et y construire leur nid, combien d’insectes y sont nés, se sont nourris de mes feuilles et ont servi de repas à ces volatiles discrets ? Certains de ceux-ci, reconnaissants, continuent d’agrémenter mon feuillage de leur chant estival : loriot, coucou, pinson, mésange et quelques autres moins mélodieux comme geai et corbeau. Point de repère aussi, car un tronc de cette taille, situé sur le bord d’un chemin rural ne passe pas inaperçu (mon houppier est même visible sur Google Earth à 300 m d’altitude, point GPS : 47° 28’ 36’’ N - 1° 28’ 51’’ E). J’en ai vu passer des générations de gardes, de chasseurs, de braconniers et de veneurs ! J’ai aussi vu passer des rouliers et leurs charrois, des colporteurs, des bûcherons, des randonneurs, des ramasseurs de champignons et même des bandits de grands chemins. J’en ai même vu qui se sont soulagés sur mes racines…et d’autres qui se sont mis à l’abri sous mon feuillage lors d’une averse soudaine. J’ai pu aussi servir de poste d’observation et de tir pour un chasseur lors d’une battue au grand gibier.

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Pourquoi, à mon âge suis-je encore debout ?
Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire
N’ayant pas trop souffert des déficits hydriques de ces dernières décennies, je suis encore apparemment en bonne santé. Je le dois sans doute à l’absence de concurrence directe de mes concitoyens et à la proximité du fossé où mes racines vont puiser une humidité plus présente. J’ai aussi échappé au marteau des forestiers qui se sont succédés dans la gestion de ce massif, ainsi qu’à la tronçonneuse d’un bûcheron. Mais, le doute a dû traverser l’esprit de ces derniers quant à ma situation sur le bord de ce chemin rural, et dans le doute, on s’est abstenu. J’ai aussi échappé aux tempêtes, de plus en plus violentes, ainsi qu’aux coups de foudre qui peuvent déchiqueter un tronc. J’aurais pu finir en poutres, en chevrons ou en parquet, mais le graal pour un chêne de qualité est de se voir transformer en douelles. Je m’imaginais bien voir ma bille de pied transformée en tonneaux, et y laisser se bonifier, tant qu’à faire, un grand cru de Bourgogne ou du Bordelais. Cependant, je me verrais aussi bien vieillir encore quelques dizaines de décennies et être protégé comme chêne exceptionnel. Mon grand âge et l’aspect esthétique que les connaisseurs pourraient me reconnaître, me laissent espérer pouvoir représenter la commune de Cheverny comme
un élément remarquable du patrimoine vivant de cette commune.

Michel Bourgeois

Le fabuleux destin d’un chêne bicentenaire

La Grenouille n°63 - Avril 2024

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