Dans la douceur
des journées printanières, discrètement, 2017 aura en effet vu deux records
continentaux égalés dans les limites communales
! Non, la fière cité courchoise n’organisait pas le championnat de lancer de
noyaux d’asperges, La Grenouille vous en aurait averti. C’est
dans le domaine très sérieux, un peu confidentiel mais passionnant, de l’entomologie
que la compétition a eu lieu.
En avril,
entre chien et loup, apparaissait dans une serre de l’Aumonière un papillon aux
tailles inhabituelles. Dix sept centimètres d’envergure pour cet animal
manifestement nocturne car globalement terne, mais dont chacune des quatre
ailes était ornée d’une magnifique ocelle, élément de forme ronde rappelant l’oeil
des mammifères, destinée à attirer l’attention, effrayer, voire hypnotiser les
prédateurs, et laisser ainsi le laps de temps nécessaire à la fuite.
Le paon,
celui qui fait la roue, possède des ornementations très comparables qu’il
préfère manifestement utiliser dans des démarches de séduction. Mais c’est
probablement cette ressemblance qui a valu son nom à cette espèce, le grand
paon de nuit, le plus grand papillon d’Europe.
Photographié,
mesuré, identifié, l’animal était alors laissé en paix et avait disparu le
lendemain matin. C’est que le temps lui est compté, car dépourvu de trompe et
donc incapable de se nourrir, il n’a devant lui qu’une huitaine de jours de
vie. Et un seul objectif, se reproduire. Alors, comme chez de nombreux lépidoptères,
les femelles diffusent un puissant attractif sexuel que les mâles sont capables
de percevoir à plus de cinq kilomètres, à des concentrations incroyablement
faibles, de l’ordre d’une molécule par mètre cube d’air. Ce sont leurs antennes
très ramifiées qui leur permettent ces performances. Mais rien de tel chez
l’individu de l’Aumonière.
Il
s’agissait donc d’une femelle qui aura été pondre ses 200 oeufs sur le tronc
d’un arbre dont le feuillage peut nourrir ses chenilles. Pommier, poirier ou
cognassier si elle choisit de rester dans les jardins, frêne, saule, peuplier,
prunellier si elle doit tenter sa chance un peu plus loin. La chrysalide
passera ensuite l’hiver dans une anfractuosité du tronc, avant de laisser
s’échapper au printemps suivant un éphémère papillon géant…

Et
renseignements pris, le record fut homologué puisqu’il s’agissait bien de la
plus grande chenille d’Europe, celle du Sphinx à tête de mort. Le nom vient du
dessin que l’individu adulte arbore à la partie dorsale du thorax. C’est lui
aussi un grand papillon de nuit, mais qui au repos adopte une posture que l’on
connait bien à ces nocturnes, ailes repliées à plat dans un angle
caractéristique. Déployé, son envergure n’est « que » de treize centimètres,
mais il bat par contre le record du papillon le plus lourd d’Europe, 1,5 gramme
pour une femelle bourrée d’oeufs…
Si le cycle
de vie du grand paon est simple et conforme à celui de très nombreux papillons,
celui du sphinx à tête de mort en revanche présente de très nombreuses
originalités. C’est ainsi que l’espèce appartient au club très fermé des
papillons migrateurs. Elle vit de façon permanente sur l’ensemble du continent
africain, hormis les zones les plus désertiques, ainsi que sur une grande
partie du pourtour méditerranéen. À la belle saison, des adultes se
répartissent sur l’ensemble de l’Europe de l’ouest et de l’Europe centrale,
jusqu’à la Scandinavie. Ils sont à l’origine d’une ou deux générations, dont la
dernière reprend le chemin du sud. Les chrysalides restées enterrées et non
écloses auront bien peu de chances de survivre à l’hiver européen…

Au total donc,
match nul entre Aumonière et Julière. Deux superbes observations entomologiques,
deux animaux laissés à leur vie pour que la magie se perpétue…
Le Castor - La Grenouille n° 37 - Octobre 2017
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