Le patrimoine du vivant
Nos deux communes de Cheverny et de
Cour-Cheverny recèlent des trésors insoupçonnés, parfois très visibles mais qui
n’attirent pas le regard à priori, et parfois cachés en pleine campagne, dans
des cours privées ou dans les bois et parcs. Dans le cas présent, il s’agit
d’arbres remarquables, par leur taille exceptionnelle, leur beauté naturelle et
leur rareté.
Nous nous attarderons ici sur un arbre
discret mais néanmoins remarquable de par sa taille, sa rareté et son âge
supposé très avancé. Il s’agit du taxus baccata (if commun), dont il existe
trois spécimens exceptionnels dans la cour de la Mairie de Cheverny. Ces sujets
qui ont poussé naturellement ou qui ont été plantés, présentent de belles
dimensions. Le plus gros des trois, particulièrement bien mis en valeur mérite
notre attention, et notamment, la recherche de son âge.
Quelques notions de botanique
Classé dans la catégorie des résineux,
alors qu’il n’a pas de résine, l’if est essentiellement connu comme arbre à
haie et arbre de cimetière (ce qui explique sa présence à proximité de
l’église, ancien cimetière attesté). Il peut se tailler de mille façons : en
haies basses, en haies hautes, en topiaires, et en de multiples formes artistiques.
D’où vient-il ?
Originaire du Moyen Orient, il a colonisé de grandes zones en Europe, notamment grâce à ses exceptionnelles facultés d’adaptation. Adaptation aux divers sols qu’on lui propose, mais aussi à bien des expositions : du plein soleil à l’ombre quasi-permanente... Si on le laisse pousser naturellement comme à Cheverny, il peut atteindre les 20 m de hauteur, pour peu qu’il ait de la place pour se développer. Par ailleurs, il est très longévif (1). Un spécimen est connu en Normandie qui aurait plus de 1000 ans, avec des dimensions frôlant les 20 m de hauteur pour un diamètre de 1,60 mètre (en cépée de plusieurs brins). On trouve également de très beaux sujets dans les parcs et jardins de nos châteaux de la Loire.
Principales
caractéristiques de l’if
L’if est une plante dioïque, c’est-à-dire
qu’il existe des pieds mâles et des pieds femelles. C’est le pied femelle qui
porte ce fruit rouge vif qu’on appelle « arille ». La chair du fruit est
comestible, on peut même en faire des confitures. Mais les noyaux, comme les
feuilles sont toxiques, et même mortels s’ils sont mâchés ou écrasés, particulièrement
pour les chevaux. Les oiseaux, eux, consomment ces fruits et disséminent les
noyaux intacts, qui peuvent ainsi germer à de grandes distances de leur pied
mère. Mais, pour être fécondé, celui-ci doit se trouver à proximité d’un pied
mâle. Le pollen est abondant et peut voler à plusieurs dizaines de mètres pour
aller féconder les pieds femelles. Cet arbre est également recherché pour
l’extraction d’une molécule appelée taxol, utilisée en médecine comme
anticancéreux.
Qualité de son bois
D’une belle teinte brun-orangé à rosâtre,
il est très prisé des ébénistes, des luthiers (pour ses hautes qualités
acoustiques) et des sculpteurs. Son bois dense, dur et facile à polir, en a
fait un arbre très recherché dans les années 1990-2000 par les exploitants
forestiers. Sa croissance relativement lente, sa rareté et la durabilité de
son bois en ont fait une matière de première valeur. D’ailleurs, les prix qu’en
offraient les utilisateurs à l’époque étaient de très loin supérieurs au prix du
chêne. Aujourd’hui, les ifs qui présentent des dimensions respectables sont
plutôt conservés comme témoins du passé, éléments décoratifs et naturels du
patrimoine des communes et des particuliers qui en possèdent.
D’autres utilisations de son bois
Elles n’ont plus cours aujourd’hui, mais
l’if a eu ses heures de gloire au moyen âge. En effet, il était déjà recherché
à cette époque, moins pour le bois de son tronc que pour ses branches. En
raison d’une grande résistance à la flexion et d’une bonne durabilité,
celles-ci étaient utilisées à la confection d’arcs de guerre par les archers
du roi, notamment en Angleterre, où l’if aurait failli disparaître, tellement
il était prisé. Il était aussi utilisé pour des applications bien plus
macabres. En effet, ses feuilles, ses noyaux, son écorce et même ses racines,
comme précisé plus avant, sont particulièrement toxiques et servaient à
confectionner des mixtures létales à bas prix…, moyen de trucider très en vogue
au moyen âge.
Un peu de dendrométrie (2)
Il s’agit de la prise des dimensions d’un
arbre sur pied : diamètre, hauteur, volume, âge. Avec l’autorisation et
l’aimable participation de madame Gallard, Maire de Cheverny, nous avons
cherché à connaître les caractéristiques du plus gros des ifs. Comme nous
n’avions pas accès à la souche où il aurait été aisé d’y compter les cernes
d’accroissements annuels, la méthode employée a été par comparaison. Afin de
respecter le souhait du conseil municipal de ne pas altérer l’intégrité de cet
arbre, son âge sera défini par comparaison et non par carottage (3). Des mesures ont été effectuées sur
d’autres essences à croissance similaire et de diamètre comparable, qui ont
été extrapolées sur le diamètre de cet arbre. Parfois, les accroissements sont
si faibles qu’il faut l’utilisation d’une loupe pour les compter. Par cette
méthode, on approche avec suffisamment de précision l’âge actuel de l’arbre.
Attachons-nous au plus gros des trois ifs
(qui sont sans doute tous du même âge)
Son diamètre à 1,50 m du sol est de 66 cm,
(210 cm de circonférence) contrôlé le 19 avril 2022. Sa hauteur totale est de
13,50 m, mesurée au dendromètre ‘’blume-leiss’’ (outil des forestiers pour
apprécier les hauteurs d’arbre sur pied). La hauteur dite marchande de son
tronc est d’environ 4 m (hauteur limitée par la présence trop nombreuse des
branches). En appliquant une décroissance de 2 cm par mètre sur son diamètre,
son volume marchand serait d’environ 1,275 m3.
L’âge de cet if a été recherché par
comparaison avec des arbres à croissance lente constatée sur des chênes de
haute futaie. Les accroissements sont souvent compris entre 24 et 26 mm sur les
40 mm de référence. En extrapolant la moyenne de 25 ans sur la longueur de
référence et sur le rayon de 33 cm, par une règle de 3, l’âge approximatif de
cet arbre serait de : 330 millimètres (rayon) divisé par 40 multiplié par 25 =
206 ans. Cet âge nous amènerait à une époque de plantation aux environs de
1816. Cependant, par sagesse il convient d’appliquer une marge d’erreur de
plus ou moins 10 ans. Il est probable qu’à cette date nous nous trouvions
évidemment dans le cimetière de Cheverny, et que cet if a pu être contemporain
de Napoléon 1er...
La valeur marchande de cet arbre, même si très élevée, est sans commune mesure
avec sa valeur ornementale, sa valeur culturelle et sa valeur patrimoniale. Ces
valeurs, dites de convenances, ne sont pas estimables.
C’est la raison pour laquelle il convient
de conserver et de protéger ce patrimoine du vivant au même titre que les
patrimoines bâtis, industriels, culturels ou celui des traditions et
savoir-faire... Cet âge vénérable le vaut bien…
Michel Bourgeois
(1) Longévif
: qui vit longtemps (Wiktionnaire), terme employé fréquemment par les
forestiers.
(2) Dendrométrie
vient du grec ancien dendron : arbre. La dendrochronologie consiste à analyser
les cernes annuels de croissance afin d’obtenir des informations sur le passé
de l’arbre (âge, rythme de croissance, évènements climatiques, etc.).
(3) Cette méthode consiste à effectuer un carottage de l’arbre à
l’aide d’un outil appelé la tarière de Pressler. La carotte prélevée, de 4 à 5
mm de diamètre, est ensuite analysée pour évaluer l’âge de l’arbre.
La Grenouille n°56 - Juillet 2022
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